du Moulin au Château
Lent déploiement entre peinture d'Histoire et peinture allégorique.
Deux traits reliés entre eux pour un sujet de guerre qui n'en a pas fini d'interroger les générations, cent ans plus tard.
En 1989 et pendant neuf années, s'est élaboré une histoire. Elle s'est
élargie, enrichie, est devenue une empreinte d'artiste, capable de produire une force d'émotion, intime et personnelle.
L'historien Paul Veyne écrit que l'histoire ne progresse pas, qu'elle s'enrichit, qu'elle s'augmente, qu'elle est une culture et pas un savoir. Il dit encore, qu'il faut oser poser des questions sans forcément pouvoir y répondre.
Dans un film documentaire datant de 1916, réalisé pendant l'engagement des armées de terre britanniques dans la Somme. Les images montrent des soldats qui s'élancent hors de la tranchée. A ce moment de l'action, alors que les silhouettes s'éloignent et se dissolvent dans la fumée, la voix du commantateur dit qu'il est impossible de montrer autre chose qui viendrait rendre compte de la bataille de façon objective. "Peut-être qu'alors, l'individu n'est plus que substance dans la mélée ?"
L'entreprise qui est la mienne s'appuit sur la rencontre humaine (comme le ferait un cinéaste de film documentaire). Ce vecteur essentiel de ma création me permet de réaliser, à partir de ces échanges, une esthétique "du souvenir"
Ils sont des acteurs culturels, des témoins, des femmes et des hommes garants de leur engagement: archivistes; écrivains; religieux; archéologues; historiens; enseignants; agriculteurs; collectionneurs; érudits...
Les souvenirs de ma famille, le témoignage de mon grand-père paternel. Le 3 septembre 1918, il est alors caporal d'infanterie, et dans le village de Bucy-le-Long, près de Soissons, il accomplit un acte de bravoure qui sauve des vies humaines.
Une somme d'expériences ainsi collectée en partage m'a permis de tisser un lien solide de ligature, m'a rendu capable de tenir la gerbe constituée d'histoire et d'allégorie (référence et identification). C'est encore des traces et des restes d'objets éparses sur le territoire des batailles, dont le lieu porte un nom comme un titre marqué dans le temps, presque un apaisement, un oubli, un retour sur soi, amoureux "Le Chemin des Dames" dans l'Aisne, ma terre de naissance.
Tout ceci semble donner une possibilité d'en avoir une vision "vraie" et pas circonscrite.
PORTEUR d'épine
Une terre de Sienne labourée
Depuis tant et tant de temps,
Un phylactère historié
Flotte dans l'air presque appaisé.
Chemin de Dames enjambé
Dont personne ne se souciait.
Où des villages disparus,
Parfois reconstruits plus haut.
Cimetières et cimetières,
Un oubli, une fin en soi,
Creutes et boves dans le calcaire,
Entrelacs de clématites,
La source silencieuse court vite
Mais les joncs cachent le marais.
Des peupliers par milliers,
Vieux pommiers, un peu de vigne,
Le grisard dans le taillis,
Pins et châtaigniers épais,
Le hêtre droit, forment le couvert.
Les boyaux, la ligne de front,
Les trous d'obus, les casemates,
La tôle béante, couleur fauve
Creux noir dressé dans le bois.
L'abbaye de Vauclair, digne
Ruine suspendue, inspirée,
Lieu, dans la brume matinale.
La mémoire veille, attardée,
La venue de la légende,
Là, l'ombre d'un million d'homme
Rassemblés, tous, les tués,
Leurs souffles ont une forme de croix,
C'est comme une caresse sur l'âme.
Mon grand père a raconté,
Enfant, je l'ai écouté.
hervé-paul DELHAYE , 9 septembre 2008